Type de texte | source |
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Titre | Abrégé de la vie des Peintres, avec des reflexions sur leurs ouvrages, et un Traité du Peintre parfait, de la connoissance des Desseins et de l’utilité des Estampes |
Auteurs | Piles, Roger de |
Date de rédaction | |
Date de publication originale | 1699 |
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Auteurs de la traduction | |
Date de traduction | |
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Editeur moderne | |
Date de reprint |
, p. 110
[[8:voir aussi fortune de Pline]] Il est vray qu’ils[[5:les peintres antiques.]] n’avoient pas l’usage de l’huile, laquelle donne tant de force aux couleurs ; mais ils pouvoient avoir des sécrets que nous ignorons, et Pline nous dit qu’Apelle se servoit d’un vernis qui donnoit de la vigueur à ses couleurs, et qui les conservoit. Quoy qu’il en soit, on ne peut pas aller contre le témoignage universel des anciens auteurs qui ont parlé des peintres de ces tems-là, et des écrits desquels on doit inférer que la peinture y étoit dans un haut degré de perfection, et que le nombre des habiles peintres y étoit fort grand.
Dans :Apelle, atramentum(Lien)
, p. 119
Les grans peintres, comme les grans poëtes se sont attirez dans tous les tems la bienveillance des souverains : Apelle en reçût des marques singuliéres d’Aléxandre le Grand, qui, non seulement honnora ce peintre de son estime, à cause de sa grande capacité, mais qui l’aima à cause de la candeur de ses mœurs.
Dans :Apelle et Alexandre(Lien)
, p. 124
[[4:suit Apelle et Campaspe]] Apelle fit plusieurs fois le portrait d’Aléxandre, et comme se monarque ne trouvoit pas à propos de laisser profaner son image par la main des ignorans, il fit un édit, par lequel il défendit à tous les peintres de faire son portrait, à l’éxception du seul Apelle : de même qu’il ne donna permission par le même édit qu’à Pyrgotéle de graver ses médailles, et à Lisippe de les réprésenter par la fonte des métaux.
Dans :Apelle et Alexandre(Lien)
, p. 123-124
Alexandre qui visitoit souvent Apelle, par le plaisir qu’il trouvoit dans sa conversation et dans ses maniéres, trouvoit bon qu’il luy parlât sans complaisance, et ce prince en avoit même beaucoup pour luy, ainsi qu’il le témoigna à l’occasion du portrait de Campaspe, qu’il luy fit faire. Campaspe était tres-belle, et celle de toutes les concubines de ce prince qui avoit le plus d’entrée dans son cœur ; et comme Alexandre s’apperçût qu’elle avoit percé d’un même trait celuy d’Apelle, il la luy donna, faisant voir par-là, dit Pline, non seulement l’affection qu’il avait pour ce peintre: mais qu’aprés avoir vaincu les nations, il savoit encore se vaincre soy-même : grand par son courage, s’écrie-t-il, mais plus grand encore par l’empire qu’il avoit sur ses passions.
Dans :Apelle et Campaspe(Lien)
, p. 125-126
[[4:suit Hélène riche]] Mais s’il disoit son sentiment avec simplicité, il recevoit de la même maniére celuy des autres : et pour en éloigner toute complaisance, il éxposoit ses ouvrages aux passans, et se tenoit caché derriére pour écouter ce qu’on en diroit, dans le dessein d’en profiter. De sorte qu’un cordonnier passant un jour devant la maison d’Apelle, et y trouvant un tableau ainsi exposé, reprit avec liberté quelque défaut qu’il apperçût à une sandale, laquelle fut changée incontinent aprés : mais le lendemain repassant par le même endroit, tout glorieux de voir qu’on eut profité de sa critique, censura aussi-tôt une cuisse où il n’y avoit rien à redire : ce qui obligea Apelle de sortir de derriére sa toile, et de dire au cordonnier que son jugement ne passoit pas la sandale ; ce qui passa dans la suite en provérbe. Je ne say s’il y a beaucoup d’Apelles aujourd’huy, mais il y a des cordonniers plus que jamais.
Dans :Apelle et le cordonnier(Lien)
, p. 125
[[4:suit Apelle nimia diligentia]] Un de ses disciples luy montrant un tableau pour en savoir son sentiment, et ce disciple luy disant qu’il l’avoit fait fort vîte, et qu’il n’y avoit emploïé qu’un certain tems. Je le voy bien sans que vous me le disiez, répondit Apelle, et je suis étonné que dans ce peu de tems-là même, vous n’en ayiez pas fait davantage de cette sorte. [[4:suite : Apelle Hélène belle et Hélène riche]]
Dans :Apelle et le peintre trop rapide(Lien)
, p. 119-123
La force de son génie et l’assiduité de ses études ne luy donnérent pas cette bonne opinion que les habiles prénnent ordinairement d’eux-mêmes. Il ne voulut juger de sa capacité que par la comparaison de celle des autres qu’il alloit visiter. Tout le monde sait ce qui arriva entre lui et Protogéne. Celuy-cy demeuroit dans l’Isle de Rhodes, où Apelle fit un voyage éxprès pour voir ses ouvrages, qu’il ne connoissoit que de réputation ; mais n’ayant trouvé dans la maison de Protogéne qu’une vieille femme, qui luy demanda son nom ; je vais le mettre sur cette toile, luy dit-il, et prénant un pinceau avec de la couleur, il y a dessina quelque chose d’une éxtréme délicatesse. Protogéne étant de retour, la vieille luy raconta ce qui s’étoit passé, et luy montra la toile. Mais luy, regardant avec attention la beauté de ces traits, dit que c’étoit Apelle qui étoit venu, ne croyant pas qu’un autre fut capable de faire une si belle chose. Et prénant d’une autre couleur, il fit sur les mêmes traits un contour plus correct et plus délicat. Et sortant ensuite, il donna ordre que, si celui qui étoit venu retournoit, on le luy montrât, en luy disant que c’étoit-là celuy qu’il cherchoit. Apelle revint aussi-tôt, et honteux de se voir vaincu, prit d’une troisiéme couleur, et parmi les traits qui avoient été faits, il en conduisit de si savans et de si merveilleux, qu’il y épuisa toute la subtilité de l’art. Protogéne les vit à son tour, et confessant qu’il ne pouvoit mieux faire, quitta la partie, et courut chercher Apelle avec empressement.
Pline qui écrit cette histoire, dit qu’il a vû la toile avant qu’elle eût été consumée dans l’incendie du palais de l’Empereur, et qu’il n’y avoit autre chose dessus que quelques lignes qu’on avoit assez de peine à distinguer ; mais qu’on estimoit cette toile plus qu’aucun des tableaux parmi lesquels elle étoit.
C’est à peu prés de cette sorte qu’il faut entendre cet endroit de Pline : car de l’entendre d’une simple ligne partagée le long de son étenduë, cela est contraire au bon sens, et choque tous ceux qui savent un peu ce que c’est que peinture ; n’y ayant en cela aucune marque de capacité, ni d’intelligence dans cet art.
Ce qui peut avoir donné lieu à cette mauvaise interprétation est à mon avis le mot de linea mal entendu : car linea en cet endroit ne veut dire autre chose que dessein, ou contour. Pline s’en sert luy-même en cette signification dans un autre endroit, où il dit d’Apelle, qu’il ne passoit aucun jour sans dessiner, nulla dies sine linea ; car ce n’est pas à tirer de simples lignes qu’Apelle s’occupoit, mais à se faire une habitude d’un dessein correct.
On doit entendre de même le mot de subtilitas, non pour donner l’idée d’une ligne tres-déliée, mais de la précision et de la finesse du dessin. Ainsi la subtilité n’est pas dans la ligne, simplement comme ligne, mais dans l’intelligence de l’art, qu’on fait connoître par des lignes.
J’avouë cependant que le mot de tenuitas, qui se rencontre dans le même endroit de Pline peut faire quelque difficulté, elle n’est pas néanmoins sans réponse ; car on peut fort bien entendre par ce mot, la finesse et la précision d’un contour. Mais je soûtiens encore qu’il serait tout-à-fait contre le bon sens, d’entendre que la victoire dans le combat d’Apelle et de Protogéne ne consistât qu’à faire une ligne plus déliée qu’une autre ; et que si Pline, qui s’est mal éxpliqué en cet endroit, l’a entendu de cette derniére façon, il avait peu de connoissance des beaux arts : quoy qu’il soit aisé de juger d’ailleurs qu’il les aimoit passionnément.
L’envie, qui se rencontre ordinairement parmi les gens de la même profession, ne trouva point d’entrée dans l’ame d’Apelle, et s’il cherchoit à s’élever, c’étoit par rapport à son art, qu’il connoissoit être d’une grande étenduë, et dont il aimoit la gloire. D’où vient qu’il n’avoit pas moins de soin de l’avantage de ses émules, que du sien propre, et qu’ayant reconnu la capacité de Protogéne, il le rendit recommandable aux Rhodiens, et luy fit payer des ouvrages incomparablement plus que ce peintre n’avoit accoûtumé de les vendre.
Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)
, p. 137
Le proverbe italien, Tu sei più tondo che l’O di Giotto, dont on se sert pour exprimer un esprit grossier, est fondé sur ce que le pape Benoît IX voulant juger de la capacité des peintres de Florence, qui étoient alors en grande réputation, envoïa quelqu’un sur le lieu pour rapporter un dessein de chacun d’eux ; cette personne s’étant adressée à Giotto, celui-ci fit sur du papier un cercle parfait à la pointe du pinceau, et d’un seul trait de main: Tenez, lui dit-il, portez cela au pape, et lui dites que vous l’avez vû faire. C’est un dessein que je vous demande, répondit l’autre. Allez seulement, repliqua Giotto : Je vous dis que Sa Sainteté ne demande pas autre chose. C’est sur cela que le pape lui donna la préference, et le fit venir à Rome, où il peignit entr\' autres choses le tableau de mosaïque dont on vient de parler. Il répresente la Barque de Saint Pierre, agitée par la tempête: et il est connu sous le nom de la Nave del Giotto. Cette histoire du cercle de Giotto fait voir qu’en ces tems-là la hardiesse de la main avoit la meilleure part à l’estime qu’on faisait des Tableaux et des Peintres, et que les veritables principes du coloris n’étoient que peu ou point connus.
Dans :Apelle et Protogène : le concours de la ligne(Lien)
, p. 126
[[4:suit Apelle et cordonnier]] Une autre marque de la simplicité d’Apelle, c’est qu’il avoüoit qu’Amphion l’emportoit sur luy pour la disposition, et Asclépiodore pour la régularité du dessein ; mais il ne le cédoit à personne pour la Grace, qui étoit son talent particulier. Quand il regardoit les ouvrages des grans peintres, il en admiroit les beautés, mais il n’y trouvoit pas, disoit-il ingénuëment, cette Grace, que luy seul savoit répandre dans tout ce qu’il peignoit.
Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)
, p. 125
[[4:suit Apelle et peintre trop rapide]] Un autre peintre luy faisant voir le tableau d’une Héléne qu’il avoit peinte avec soin, et qu’il avoit ornée de beaucoup de piérreries, il luy dit : O mon ami, n’ayant pû la faire belle, vous n’avez pas manqué de la faire riche. [[4:suite : Apelle et cordonnier]]
Dans :Apelle : Hélène belle et Hélène riche(Lien)
, p. 124
Quoy qu’Apelle fût fort exact dans son ouvrage, il savoit jusqu’à quel point il devoit travailler sans fatiguer son esprit. Il dit un jour, parlant de Protogéne, qu’il étoit habile, mais qu’il gâtoit souvent les belles choses qu’il faisoit à force de les vouloir perfectionner ; qu’il ne savoit pas quitter son travail, que le trop étoit plus à craindre que le trop peu, et que c’étoit être bien savant que de savoir ce qui suffit.
Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)
, p. 127-128
Il[[5:Protogène.]] finissoit éxtrémement ses tableaux. Apelle dit de luy, qu’il ne savoit pas se retirer de dessus son ouvrage, et qu’à force de le travailler il en diminuoit la beauté, et fatiguoit son esprit. Il vouloit que les choses peintes parûssent vraies, et non vraisemblables : ainsi à force d’éxiger de son art plus qu’il ne devoit, il en retiroit moins qu’il n’auroit pû faire. [[4:suite : Protogène Ialysos]]
Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)
, p. 131
Pline dit que les habiles peintres de ce temps-là ne se servoient que de quatre couleurs capitales, dont ils composoient toutes les autres. Ce n’est point icy le lieu de raisonner là-dessus, non plus que sur la comparaison de la peinture antique avec la modérne. On peut dire seulement que si la peinture à l’huile, qui a été mise en usage depuis 250 ans, a un grand avantage sur la détrempe pour la facilité de peindre, et pour l’union des couleurs, les Anciens avoient des vernis qui donnoient de la force à leurs couleurs brunes ; et que leur blanc étoit plus blanc et plus éclatant que le nôtre. De sorte qu’ayant par ce moyen plus d’étenduë de degrez de clair-obscur, ils pouvoient imiter certains objets avec plus de force et de verité, qu’on ne fait par le moyen de l’huile. Le Titien a connu cet avantage, et s’en est voulu servir dans quelques tableaux où il a emploïé du blanc à détrempe, mais la diversité de ces deux façons d’emploïer les couleurs, est une sujettion qui a pû dégoûter le Titien de cette pratique.
Dans :Apelle et la tétrachromie(Lien)
, p. 131-132
Je diray encore des peintres et des sculpteurs de ces tems-là, que reconnoissant qu’il n’y avoit point d’ouvrage si accompli où l’on ne pût ajoûter toujours quelque perfection, ils observérent, en mettant leur nom, d’éxprimer que l’ouvrage n’étoit pas achevé, quoy qu’ils y eûssent fait tout leur possible. Nous en voyons des éxemples sur les statues grecques, sur lesquelles on trouve, par exemple : Glicon d’Athénes, faisoit cet ouvrage ; Praxitéle, faisoit cet ouvrage ; Athénodore, Lysippe, etc. faisoit cet ouvrage, et non pas a fait. Bien des gens aujourd’huy ne sont pas si scrupuleux, et sont bien éloignez de croire que ce qui sort de leurs mains n’est pas dans la derniére perfection.
Dans :« Apelles faciebat » : signatures à l’imparfait(Lien)
, p. 109
On trouvera que Gygès Lydien a inventé la peinture en Egypte, Euchir dans la Gréce, et que Bularque l’apporta de Lydie sous le régne de Romulus. Ce peintre fit un tableau, où il réprésenta la bataille des Magnésiens, lequel fut trouvé si beau par Candaule roy de Lydie, que pour le payer, il le couvrit d’or. D’où l’on peut inférer que la peinture était en honneur dés ce tems-là.
Dans :Bularcos vend ses tableaux leur poids d’or(Lien)
, p. 107-108
[[6:Incipit de l’ouvrage.]] De l’origine de la peinture. Quoyque les auteurs qui ont dit quelque chose de l’origine de la peinture, en ayent parlé diversement, tous conviennent néanmoins, que l’ombre a donné occasion à la naissance de cet art. Pline rapporte sur ce sujet l’histoire d’une fille de Sicyone, appellée Corinthia, et il dit qu’un jeune homme qu’elle aimoit, s’étant endormi à la lumiére d’une lampe, l’ombre de son visage qui donnoit sur une muraille luy paroissoit si ressemblante, qu’elle en voulut tracer les éxtrémitez, et faire ainsi le portrait de son amant. S’il est vray, comme il y a bien de l’apparence, que l’ombre a suscité l’inventeur de la peinture, l’imitation est si naturelle à l’homme, qu’il n’aura pas attendu jusqu’au tems de Corinthia à tracer les figures sur son ombre, qui est aussi ancienne que luy-même.
Mais sans s’étendre sur cette pensée, et sans chercher une source aussi incertaine qu’est celle de la peinture, on peut dire avec beaucoup de fondement que cet art a pris naissance en même tems que la sculpture, l’une et l’autre ayant le dessein pour principe, et que dès les tems d’Abraham, où la sculpture étoit en usage, la peinture par conséquent y étoit de la même sorte, et en pareil dégré.
Dans :Dibutade et la jeune fille de Corinthe(Lien)
, p. 110
Nous avons à la vérité quelques morceaux de peinture antique, mais ni les tems, ni les auteurs n’en sont point connus : le plus considérable est à Rome dans la Vigne Aldobrandine, et représente un mariage. Cet ouvrage est d’un grand goût de dessein, et tient beaucoup de la sculpture et des bas-reliefs grecs. Il est sec et sans intelligence des groupes, ni du clair-obscur : mais il est à croire que tous les ouvrages de peinture qui se faisoient en Gréce dans ces tems-là, n’étoient pas de la même sorte ; puisque ce que nous lisons de Zeuxis et de Parrhasius, qui ont trompé par leur pinceau, non seulement les animaux, mais les peintres mêmes, doit nous persuader qu’ils avoient pénétré dans les principes de la peinture plus avant que l’auteur de cet ouvrage. Il est vray qu’ils n’avoient pas l’usage de l’huile, laquelle donne tant de force aux couleurs ; mais ils pouvoient avoir des sécrets que nous ignorons, et Pline nous dit qu’Apelle se servoit d’un vernis qui donnoit de la vigueur à ses couleurs, et qui les conservoit. Quoy qu’il en soit, on ne peut pas aller contre le témoignage universel des anciens auteurs qui ont parlé des peintres de ces tems-là, et des écrits desquels on doit inférer que la peinture y étoit dans un haut degré de perfection, et que le nombre des habiles peintres y étoit fort grand.
Dans :Fortune de Pline(Lien)
, p. 116-117
Il avoit une si grande idée de son art, qu’il ne croyoit pas qu’on y pût être habile sans l’étude des belles lettres, et de la géométrie, étant luy-même fort savant en ces deux choses. Sa réputation luy attira des disciples considérables : il n’en prénoit pas qu’ils ne lui payassent un talent ; c’est-à-dire, six cents écus de notre monnoie durant l’espace de dix années, qu’il les retenoit dans l’étude de la peinture ; Apelle et Melanthius luy donnérent cette somme, que Béde dit être pour chaque année seulement.
Ce fut par son avis et par son crédit que d’abord à Sicyone, et ensuite dans toute la Gréce, les jeunes gens d’une naissance libre et distinguée apprenoient à dessiner avant toutes choses, et que la peinture se conserva depuis dans un si grand honneur, qu’il fut défendu par un édit à tous autres qu’à ceux qui étoient nobles, d’éxercer cet art. D’où l’on peut inférer que, si la peinture a été estimée dans l’Antiquité par les peuples les plus polis, ce n’est pas sans raison qu’aujourd’huy les princes éclairez l’aiment et la protégent, et que les gens d’esprit se font un honneur de s’y connoître.
Dans :Pamphile et la peinture comme art libéral(Lien)
, p. 115-116
Il avoit beaucoup de génie et d’élévation d’esprit ; mais les louanges qu’on lui donnoit, et qu’il croyoit mériter, le rendirent éxtrémement orgueilleux ; il parloit des autres avec mépris, et de soy-même, comme ayant conduit l’art à sa dernière perfection. Il ne faisoit pas de difficulté à se nommer le Maître et le Prince de la Peinture : et il étoit magnifique en tout ce qui environnoit sa personne, sans affectation néanmoins, et sans contrainte.
Il avoit accoûtumé de s’enthousiasmer pour ses productions. Il ne se mettoit jamais au travail qu’il ne fût prévenu d’une disposition à y trouver du plaisir ; et il adoucissoit son travail en chantant d’un ton moderé pour luy seul.
Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)
, p. 139
Un de ses amis nommé Bruno, le consultant sur le moïen de donner plus d’expression à son sujet, Bufalmaco lui répondit qu’il n’y avoit qu’à faire sortir les paroles de la bouche de ses figures par des rouleaux où elles seroient écrites. Bruno crût de bonne foi cet avis, qui ne lui avoit été donné qu’en plaisantant, et s’en servit dans la suite, comme ont sottement fait plusieurs peintres après lui, qui, pour enchérir sur Bruno, ajoûterent des réponses à des demandes, faisant faire à leurs figures une espece de conversation.
Dans :Peintres archaïques : « ceci est un bœuf »(Lien)
, p. 128-129
Ce fut ce même tableau[[5:Ialysus.]] qui sauva la ville de Rhodes, que le roy Démétrius tenoit assiégée, parce que ne pouvant la prendre que du côté où travailloit Protogéne, et par où ce prince avait résolu d’y mettre le feu, il aima mieux renoncer à sa conquête, que de perdre une si belle chose.
Protogéne avoit son attelier dans un jardin au fauxbourg de Rhodes, c’est-à-dire parmi le camp des ennemis, sans que le bruit des armes fut capable de le distraire de son travail. Et le roy l’ayant fait venir, et luy ayant demandé avec quelle assûrance il pouvoit ainsi travailler dans les dehors d’une ville assiégée, il luy répondit, qu’il savoit bien que la guerre qu’il avoit entreprise étoit contre les Rhodiens, et non pas contre les arts. Ce qui obligea le roy de lui donner des gardes pour sa sureté, étant ravi de pouvoir conserver cette main savante qu’il avoit sauvée.
Aulugéle rapporte que les Rhodiens pendant le siège de leur ville envoyérent une ambassade à Démétrius, pour le prier de sauver ce tableau de Ialysus, lui réprésentant que s’il étoit victorieux, il pourroit orner son triomphe de ce rare ouvrage ; et que s’il étoit contraint de lever le siége, on pourroit luy reprocher, que ne les ayant pu vaincre, il auroit tourné ses armes contre Protogéne ; ce qu’ayant écouté paisiblement de la bouche des ambassadeurs, il fit retirer son armée, et épargna par ce moyen, et le tableau de Ialisus, et la ville de Rhodes.
Dans :Protogène et Démétrios(Lien)
, p. 128
[[4:suit Apelle nimia diligentia]] Le plus beau de ses ouvrages est le tableau de Ialisus. Plusieurs auteurs en parlent sans en faire la déscription, et sans dire quel étoit ce Ialisus, que quelques-uns croyent avoir été un insigne chasseur.
Pendant sept années que Protogéne employa à peindre ce tableau, il ne prit point d’autre nourriture que des lupins cuits dans de l’eau, qui luy servoient de boire et de manger, afin que cet aliment simple et léger lui laissât toute la liberté de son imagination.
Apelle ayant vû cet ouvrage, en fut tellement frappé, qu’il resta sans parole, n’ayant point de termes pour exprimer l’Idée de beauté que ce tableau avoit formée dans son esprit. [[4:suite : Protogène et Démétrios]]
Dans :Protogène, L’Ialysos (la bave du chien faite par hasard)(Lien)
, p. 118-119
Parmi les ouvrages qu’il a faits, le plus célébre, et dont quantité d’auteurs ont parlé avec éloge, est le Sacrifice d’Iphigénie. Cette jeune fille y paroissoit d’une beauté surprenante, et sembloit volontairement dévouée à sa patrie. Le peintre qui y avoit réprésenté Calchas, Ulysse, Ajax, Ménélas, amis et parens de cette fille, s’étant épuisé à donner à chacun d’eux les caractéres différens de tristesse, selon la convenance des personnes, peignit Agamémnon, père d’Iphigénie, le visage caché dans sa draperie, ne pouvant d’une autre maniére éxprimer assez dignement les effets de sa douleur. De sorte que les éxpressions qui paroissoient sur le visage du frére et de l’oncle de cette victime, faisoient juger de l’état douloureux où pouvoit être le pére.
Timanthe ayant fait une autre fois dans un petit tableau un Cyclope dormant, s’avisa, pour faire juger de sa grandeur, de peindre auprés de luy des satyres qui mésuroient son pouce avec un tyrse, qui est une espéce de bâton fort haut. Pline fait mention des principaux ouvrages de Timanthe, et dit que ce peintre donnoit à entendre beaucoup plus de choses qu’il n’en avoit peint.
Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)
, p. 113-114
Agatharque, qui voyoit avec impatience que Zeuxis employoit beaucoup de tems à finir ses ouvrages, luy dit un jour que pour lui il peignoit ses tableaux avec assez de promtitude. Vous êtes bien heureux, répondit Zeuxis, je ne fais mes ouvrages qu’avec beaucoup de tems et d’application ; parce que je désire qu’ils soient bien, et que je suis persuadé que l’estime des choses faites en peu de tems, dure peu de tems aussi.
Dans :Zeuxis et Agatharcos(Lien)
, p. 113
Parrasius néanmoins luy disputoit le premier rang, et ils convinrent de faire chacun un tableau en concurrence. Zeuxis peignit des raisins, et Parrasius un rideau. L’ouvrage du prémier étant éxposé, attira des oyseaux qui vinrent béqueter les raisins qu’il avoit peints, et qu’ils crûrent être véritables. Zeuxis tout glorieux du suffrage de ces animaux, dit à Parrasius qu’il fit donc voir son tableau, et qu’on tirât ce rideau qui le couvroit : mais se trouvant surpris par ce même rideau, qui étoit le tableau de Parrasius, il confessa ingénuëment qu’il étoit vaincu, et que n’ayant trompé que les oyseaux, Parrhasius l’avoit trompé luy-même, tout peintre qu’il étoit.
Zeuxis peignit quelque tems aprés un garçon qui portoit une corbeille de raisins, et voyant que les oyseaux les venoient aussi béqueter, il avoüa avec la même franchise que si les raisins étoient bien peints, il falloit que la figure le fut bien mal ; puisque les oyseaux n’en avoient aucune peur.
Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)
, p. 112
Les Agrigentins luy ayant demandé le tableau d’une Helene nuë pour mettre dans leur temple, ils lui envoyérent en même tems, ainsi qu’il l’avoit demandé, plusieurs des plus belles filles de leur païs. Il en retint cinq, et aprés les avoir considérées, il se fit une idée de leurs plus belles parties pour en composer le corps qu’il avoit à réprésenter. Il le peignit d’aprés elles ; et cette figure, qu’il acheva avec tant de soin, luy parût si parfaite, qu’il ne feignit point de dire des peintres qui venoient l’admirer, qu’ils pouvoient bien la louër, mais non pas l’imiter.
Dans :Zeuxis, Hélène et les cinq vierges de Crotone(Lien)
, p. 114
Festus dit que le dernier tableau de ce peintre[[3:Zeuxis.]] est le portrait d’une vieille, et que cet ouvrage le fit tant rire qu’il en mourut. Quoy que la chose soit difficile à croire, elle n’est pas sans éxemple.
Dans :Zeuxis mort de rire(Lien)
, p. 112
Les ouvrages considérables où il fut employé luy firent acquérir de grandes richesses, et n’ayant plus rien à attendre des biens de la fortune, il commença à donner liberalement ses tableaux, parce qu’il ne voyoit pas, disoit-il, qu’aucun prix les pût assez dignement payer.
Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)
, p. 110
[[8: Voir aussi Fortune de Pline, Apelle atramentum]] Nous avons à la vérité quelques morceaux de peinture antique, mais ni les tems, ni les auteurs n’en sont point connus : le plus considérable est à Rome dans la Vigne Aldobrandine, et représente un mariage. Cet ouvrage est d’un grand goût de dessein, et tient beaucoup de la sculpture et des bas-reliefs grecs. Il est sec et sans intelligence des groupes, ni du clair-obscur : mais il est à croire que tous les ouvrages de peinture qui se faisoient en Gréce dans ces tems-là, n’étoient pas de la même sorte ; puisque ce que nous lisons de Zeuxis et de Parrhasius, qui ont trompé par leur pinceau, non seulement les animaux, mais les peintres mêmes, doit nous persuader qu’ils avoient pénétré dans les principes de la peinture plus avant que l’auteur de cet ouvrage. Il est vray qu’ils n’avoient pas l’usage de l’huile, laquelle donne tant de force aux couleurs ; mais ils pouvoient avoir des sécrets que nous ignorons, et Pline nous dit qu’Apelle se servoit d’un vernis qui donnoit de la vigueur à ses couleurs, et qui les conservoit. Quoy qu’il en soit, on ne peut pas aller contre le témoignage universel des anciens auteurs qui ont parlé des peintres de ces tems-là, et des écrits desquels on doit inférer que la peinture y étoit dans un haut degré de perfection, et que le nombre des habiles peintres y étoit fort grand.
Dans :Zeuxis et Parrhasios : les raisins et le rideau(Lien)